Le projet
Le contexte scientifique et technique
L’industrialisation de l’agriculture dans la 2e moitié du XX e siècle a mené à la spécialisation des productions, et en particulier à la disparition progressive de formes anciennes d’intégration des animaux dans les cultures. Cette pratique connaît un renouveau depuis une décennie environ, du fait de son potentiel de synergie entre différents éléments des exploitations agricoles, menant ainsi vers une agriculture « écologiquement intensive », dans l’esprit de l’agro-écologie. Les potentiels avantages du pâturage ovin en vergers sont très vastes (Figure 1), à commencer par la réduction voire l’abandon du recours à des substances herbicides ou aux fauchages mécaniques, et parallèlement l’accès des animaux à des ressources fourragères pour l’instant inexploitées. Par diminution de l’inoculum de certains bio-agresseurs (tavelure, carpocapse, campagnols, etc.), cette pratique pourrait mener à une réduction drastique de l’emploi de produits phytosanitaires.
Par ailleurs, sa généralisation aurait probablement un impact sur la prévention (stockage de carbone dans les sols, diminution de la mécanisation ) et l’adaptation (ombrage pour les animaux, ressource fourragère estivale) aux changements climatiques, ainsi que sur la fertilité des sols.
Cependant, divers freins existent quant à la généralisation du pâturage ovin en cultures pérennes, liés notamment à la complexification induite par la présence d’animaux d’élevage (Figure 1). Dans le cas des brebis dans les vergers, les principaux points d’achoppement identifiés concernent :
- La protection des arbres. La consommation des écorces, et dans une certaine mesure des rameaux est un risque majeur de l’intégration d’animaux dans les itinéraires techniques arboricoles (Figure 3) ; elle peut être empêchée par :
- le choix de races connues pour n’exercer qu’une pression réduite sur les arbres fruitiers (Shropshire, éventuellement Charmoise1),
- l’emploi de dispositifs de protection physique portés par le verger (manchons de protection, filets anti-insectes) ou par les brebis (muselières),
- des badigeons et pulvérisations à base de substances répulsives,
- l’induction de conditionnements comportementaux, par l’administration de substances déclenchant une aversion ou par des fils électriques positionnés sur les branches basses (K. Mulville, comm. personnelle).
- Le risque d’intoxication chronique au cuivre (ICC). Les brebis sont très sensibles à la présence de cuivre dans leur alimentation : une fois assimilé, cet élément est stocké dans le foie des animaux, où sa durée de vie est très longue, sans symptômes apparents. La surcharge cuprique dans le foie peut aboutir soudainement à une crise hémolytique, conduisant à la mort rapide de l’animal. Pour autant, une récente étude produite par le FiBL France tend à montrer que le pâturage hivernal dans des parcelles viticoles ne représente qu’un risque modéré d’ICC pour les brebis. En revanche, les données sont pour le moment inexistantes quant au risque encouru pour des animaux présents dans le verger en pleine période de traitement, et quant aux éventuelles mesures de protection à adopter.
- Le parasitisme interne. Les impératifs de gestion de l’enherbement incitent à maximiser la fréquence de pâturage dans les zones de verger, mais une limite est posée par les risques de surcharge parasitaire, concernant principalement les strongles gastro-intestinaux. En particulier, l’environnement du verger (ombrage, irrigation) pourraient modifier le cycle de vie des parasites [19], rendant nécessaire l’établissement de nouvelles références quant au temps de latence entre deux périodes de pâturage. A noter que les bouillies à base de cuivre semblent exercer un effet inhibiteur sur l’activité de certains strongles
Ainsi, en vue d’en maximiser les bénéfices et d’en minimiser les impacts négatifs, l’association de l’élevage ovin et de l’arboriculture fruitière suscite l’intérêt des agriculteurs, techniciens et chercheurs depuis plusieurs années. Cependant, la documentation à ce sujet est bien souvent constituée d’entretiens portant sur les intentions des producteurs et/ou de retours d’expérience empiriques, insuffisants pour produire des référentiels techniques et socio-économiques permettant une généralisation de la pratique.
En outre, les données existantes concernent très fréquemment le pâturage ovin en période hivernale, ou les systèmes de production fruitière destinée à la transformation (vergers haute-tige). Le projet ECORCE se propose d’étudier la possibilité d’une intégration des brebis au coeur des systèmes de production fruitière biologique « classiques », en pleine saison de végétation – constituant ainsi le centre de la stratégie de gestion de l’enherbement dans ces vergers, et ouvrant la possibilité à de nouveaux modèles de développement d’exploitations d’élevage ovin.
Le contexte territorial
Le territoire concerné par le projet ECORCE s’étend de la vallée de la Drôme à la plaine de Valence. Il s’agit d’une zone (vallée du Rhône, particulièrement aux confluences avec la Drôme et l’Isère) à forte concentration en exploitations fruitières, dont une partie significative, en nombre d’exploitations comme en surfaces cultivées, est en agriculture biologique. De nombreux troupeaux ovins sont également présents dans le secteur, particulièrement dans les zones montagneuses du Vercors proche et de l’Ardèche voisine. Cette proximité de zones de plaine et de montagne permettra d’explorer concrètement différentes questions réglementaires et économiques.